16/01/2008

hier...


Beaubourg, janvier 2008

Il n'y avait personne. J'étais assis, je pensais à rien quand le premier est arrivé, il a dit :
- Agitation. S'agiter, tourner autour, fébriles. Remuer des corps, se secouer, soubresaut. Même pas de la souffrance : souffretage, souffraille. Je deteste les musées, rien n'y est à sa place, c'est même pas des asiles. Monstrueux étalages, petits fragments de vies maladroitement rafistolés, bouts de fils de fer, clous, sanglages, boulons, plâtre, signalitique incompréhensible, officielle, charte, étiquettes, numéros, passage au rayon cartes postales. Ca sent la ruine, les oeuvres comme des cadavres sous une lumière de morgue, institutionelle. De la chair figée, vie embaumée, mise à l'écart du monde, du souffle du vent, de son endroit naturel. Accumulation sans queue ni tête, argumentaire construit autour de l'oppotunité des stocks et des calendriers. .............. Qu'on brûle les musées, qu'on rende les statues à l'air libre et qu'on affiche les tableaux dans les couloirs des écoles, des usines, des supermarchés. Oui qu'on les brûle ces cimetieres blancs et qu'on en parle plus, Beaubourg grosse chaudière, incinérateur abominable, c'est pas tes tuyaux, tes cheminées que je hais c'est tes cendres à l'intérieur !!!"
Un autre est venu et a crié avec lui :
- Oui qu'on les brûle ces cimetieres blancs et qu'on en parle plus.

Un troisième s'est joint à eux :
-Ta révolte me fait écho et me réjouis. En parallèle de ce que tu dis, j'ai songé à ce qu'est un livre : momie de paroles ! Paroles enterrées vivantes, alors qu'on est là, bien présents, avec des bouches et des oreilles, tout ce qu'il faut et .... qu'on s'en prive. Sommes-nous mutilés ? [Et puis, j'ai aussi envie de dire que l'art présenté comme on nous le présente, c'est l'art corrompu et dégardé par la "communication". Oui ?]
Quelqu'un qu'on ne connaît pas s'est levé pour leur demander :
-C'est du l'art ou du cochon ? Le musée, c'est un lieu, comme un livre, ou un bar, on y va pareil, non? L'art dans les usines, les supermarchés? Que faire ? Séparer le sacré du religieux , dynamiter le temple-beaubourg, pendre les curés et les propriétaires... Mais, peut-être plutôt que de "faire venir l'art au peuple" faire venir le peuple à l'art, car le peuple est un gens comme les autres, c'est dans ce chemin qu'il s'approprie ...

On était près de la révolution. Ils l'ont regardé, et comme on ne lui répondait pas, il s'est rassis...
Le deuxième s'est amusé :
- Peut-être que dans les musées la muse ment ?

De l'ombre, on a entendu une voix grave mais claire qui énonça, monocorde, syllabes bien détachées :
-Fonction d'état : anthropie. L’anthropie est une grandeur extensive, ce qui signifie que l'on obtient l'entropie d'un système en faisant la somme des entropies de ses parties constituantes.
Personne n' a relevé.
Le premier, le plus fervent a repris la parole :
-Faire venir le peuple à l'art c'est raisonner en terme de passage, de foule. Hors je crois que plus il y a de 'foule' moins il y a de 'peuple'


Le deuxième, illuminé, a poursuivi :
-Mais l'art veut faire venir le peuple à quoi/qui ? ces protubérances humaines qui vont/viennent ici en tant qu'extensions mécaniques du centre, et qui spirent, font "parole". On reconnait de nos propres folles attentes dans cette chorégraphie épuisante. mais font-elles art (seulement ) ? Je me dis: "Non ! Je refuse la captivité de cette ronde absurde, ce mythe de Sisyphe horizontal, d'ailleurs contraire du rien, je veux m'arracher à cette orbite ! Je veux trouver une PORTE."
Et je lève les yeux au ciel...

Le premier, de plus en plus véhément, a enchaîné :
- En vrai, moi l'art je ne sais pas ce que c'est, même les arts appliqués, le reste, ne m'en ont rien appris. Je ne parviens à l'approcher que dans une maigre tentative de Processus. Tout ce qu'on me montre qui est après le processus, je ne sais pas comment ça s'appelle. Il est très rare que ça me touche. Mes attirances en peinture vont à Renoir, Matisse, Bacon et Kandinsky, quelques autres (rien de bien original). Pour que je puisse peut être avoir une toute petite émotion, comprendre une toute petite parcelle du travail d'un Dali, d'un Basquiat, d'un Schnabell, il faudrait qu'on m'autorise à venir gribouiller dessus (c'est completement débile, je sais). Et c'est pas faute de pas avoir cherché. Je rejoins ce qu'insinuait v. : Communication. Comment regarder une interview d'Armand, observer son comportement avec les marchands d'arts, les artistes, sans être saisi par une irresistible envie de vomir ? Tout ce que je dis ici et je le pense vraiment, est prétentieux, indécent. La plupart des mots, des débats, ici, internet, les blogs, sur la politique, l'art, les relations humaines, les sentiments, l'ontologie, tout : Indecent, pathetique, je me pose dans les chefs d'escadrilles, c'est désolant. Ce besoin de parler, ahurissant, incroyable, innexplicable... Excusable bien heureusement. Je me tais, trop dit, trop fait le guignol. Je me suis regardé en train de la ramener, j'ai la nausée.

Après, le silence s'est installé, il pesait lourd. Moi, je savais pas trop quoi dire, depuis le début j'étais pas d'accord. Alors j'ai rien dit. Je suis rentré à la maison, sur le chemin, je repensais à tout ça. Après, j'ai pris mon carnet noir, le moyen, et j'ai noté :

Les musées me conviennent. Je m'y promène comme sur les sentiers de la Sainte Victoire. Même familiarité, je connais chaque coin, je viens passer un moment, indifférent à la foule, l'agitation, j'y retourne parfois pour un tableau, une ombre. Je suis chez moi, comme dans les bibliothèques, je connais tout le monde, je sais où chaque chose se trouve, les espaces publics sont ma demeure, comme la mer où la montagne, là où je suis. J’aime la compagnie des livres et des tableaux, je suis dedans, littéralement, ils sont peints et écrits pour moi, rien que pour moi, je comprends que ça les énerve un peu... Pour moi, l'art c'est l'art de vivre, autrement dit la nécessité. Se pose alors un certain nombre de questions. Je consulte les archives, je teste certaines options, je mesure, j'évalue, je fais mon petit bonhomme de chemin. Les artistes sont ceux dont l'oeuvre fait preuve... Quand je vais voir Pollock, à Paris, à Londres ou à New York, je suis sur sa trace...

Et puis j'ai recopié ce que le premier m'avait envoyé.

"Plutôt le vol de l'oiseau qui passe sans laisser de trace, que le passage de l'animal, dont l'empreinte reste sur le sol. L'oiseau passe et oublie, et c'est ainsi qu'il en doit être. L'animal, là ou il a cessé d'être et qui, partant, ne sert à rien, montre qu'il fut naguère, ce qui ne sert à rien non plus. Le souvenir est une trahison envers la Nature, parce que la nature d'hier n'est pas la Nature. Ce qui fût n'est rien, et se souvenir c'est ne pas voir. Passe, oiseau, passe, et apprends-moi à passer !" Fernando Pessoa XLIII - Le Gardeur de troupeaux -

Ensuite, j'ai tout relu, je me suis lavé les dents et je suis allé me coucher. C'était une bonne journée...