11/07/2010

Chambre sans vue

(chronique bancale d'une déchirure)

Absence prolongée due à la rupture d’une membrane.

La rétine s'est déchirée et un voile s'est matérialisé devant moi, un rideau de pluie fine et délicate, brouillard mettant le monde à distance, du mauvais sang, noir. 



Assis, immobile dans la pénombre, tête penchée, à gauche, j’ai entrepris un drôle de voyage.

Des bribes retenues pendant la traversée du passage à vide, poussières du temps accrochées sur mon pyjama.


Je se vit en modèle réduit.

En état d’arrestation. Se lever pour s’asseoir, condition unique du reste de l’homme.

La pensée, habituée à se complaire dans l’experte conjugaison du temps, se retrouve à bricoler avec les rouages du mécanisme.



La musique même donne la nausée. Sans rythme, elle ne promet plus rien, creuse le mauvais sillon.

Je garde les yeux clos et attends. Une attente sans objet. L'attente comme sujet de l'être.




Les mots, détachés du monde, ne collent plus à la chair. Ils gesticulent, articulent des figures inquiétantes. Dernier rempart contre le vide, ils brillent d’une nouvelle intensité, reflet de l'extrême fragilité.

Arracher les mots au bruit, les retenir et les tresser dans le silence.




Job : traîner la carcasse du lit au fauteuil, impatient des repas qui l’attendent à échéances régulières.

Je m’enfonce dans les après-midi, moiteur fade. Pris au piège, bras et jambes immobilisés par une force irrésistible qui me cloue, littéralement.

Les jours ont perdu leur nom, ils sont tous les mêmes, remplis d’heures lentes qui obstruent le cours des choses, devenues menaçantes.

Je navigue à marée basse.



J’ouvre l’oeil gauche de temps en temps pour vérifier que le monde persiste.

Je subis l’épreuve de la durée, passe du temps de l’action à celui, infini, de la suspension.

Je regarde à l’intérieur et vois l’autre visage du temps, immobile et terrifiant.



Je tire sur la corde du temps au risque de l’étouffement.

Aucun souvenir à retenir, à peine entamée, la journée s’effondre déjà, c’est la principale activité de l’esprit, la regarder s’écrouler et disparaître de la conscience...



Dans la vie, au quotidien, toilette, repas et sommeil font la part qui repose le corps, dans l'attente, on assiste à un renversement, ce sont les moments d'intense animation, l'essentiel de l'action. Ce qui est le plus étonnant, c'est la faculté d'adaptation à ces nouvelles conditions de détention. L'homme se soumet docilement à la contrainte et attend sagement l'heure de sa pâtée, en ce sens il n'est pas très éloigné du chat dont je constate, pour l'observer du coin de l'oeil, que nos vies se ressemblent maintenant...