07/03/2010

Déboussolant


M. Kabe, la quarantaine, chômeur secouru, surgit pour la première fois sur la scène politique le jour où, prenant son élan à l’ouest, il sauta par dessus le Mur, au centre de Berlin, en direction de l’Est. Là-haut, Kabe resta un moment sous les projecteurs braqués par les patrouilles de l’Ouest, aussitôt accourues, mais demeura sourd aux appels des agents qui tentaient de lui faire comprendre où était l’Est et où était l’Ouest, puis il sauta du côté Est. La police arrêta Kabe pour violation de frontière. Pendant les heures d’interrogatoire qu’il dut subir, Kabe ne trahit aucune intention politique précise, ni même la claire volonté d’un séjour définitif. Quand on lui demanda qui l’avait envoyé, il répondit qu’il était venu de sa propre initiative, qu’il avait seulement voulu aller de l’autre côté. Ses interrogateurs le menèrent à la clinique psychiatrique de Buch. Mais là, les médecins ne purent déceler en Kabe qu’”un besoin maladif de surmonter les murs”. (...)

Kabe quitta la clinique. Au total, il sauta quinze fois. Quand on l’interrogeait, on ne tirait de Kabe que cette réponse :

“Quand tout est calme à la maison, et que dehors tout est tellement gris et brumeux et que rien ne se passe alors je me dis : “Tiens, saute donc encore par dessus le Mur.”


Extrait : “Le sauteur de Mur” Peter Schneider



Je ressens un attachement particulier pour ceux qui, poussés par un vent fou, vont à l’encontre des comportements attendus et révèlent la relativité de nos vérités bien établies. Leur sens impropre de la réalité me réjouit...