21/05/2022

Pensées en vrac

 Les mots retrouvés ont tous la même taille, ils occupent la même place sur le papier, informations insignifiantes ou grands événements, ils ne traduisent pas l’importance du moment rapporté.

Ce matin, j’ai eu envie de relire un carnet récent, pour une raison triviale. Sa couverture est colorée et je ne  le voyais pas avec ses camarades tous ternes ou sombres. J’ai remis la main dessus, il traînait dans un autre rayon de la bibliothèque. 

Je l’ai parcouru et relevé ce que j’avais jugé utile de noter il y a un an et des petites poussières, le 16 mai 2021

Ça commence par un long blabla sans queue ni tête, un peu comme les exercices de respiration qu’on pratique avant de commencer une activité physique, un échauffement des dendrites peut-être… 

Cinq paragraphes insipides et puis un passage retient mon attention  : « penser est une activité à part entière. Elle ne s’improvise pas, elle nécessite un minimum de préparation « mentale », de disposition, se détacher (un peu). Ce matin, j’ai noté spontanément « l’activité mentale ressemble à un cheminement ». Si j’examine cette proposition, me vient à l’esprit la notion de « carte mentale ». Nous cartographions le réel, c’est une modalité archaïque pour se situer, accéder au savoir nécessaire à la préservation : explorer un territoire, mémoriser ses ressources, ses limites, ses dangers. Transmettre ce savoir est une question vitale. C’est un apprentissage qui s’opère par le corps et les sens dans un environnement instable. Nous avons passé des milliers d’années à vivre ainsi, les abris, les sources, … toute une géographie liée à notre espèce mobile et curieuse. Cela a laissé des traces  dans notre rapport au monde. » 

Sans transition, une ligne sautée et « écrire un livre, raconter une histoire, c’est explorer des questions et les traduire sous une forme narrative. Mais cette approche (classique) se heurte chez moi à un obstacle : elle impose de distinguer des corps, de les déplacer, de définir leurs psychologies, de les confronter,… Cela m’ennuie. J’ai pensé hier que cet obstacle pourrait être contourné en imaginant un dispositif ingénieux  qui rendrait accessoire ces développements. Ils resteraient nécessaires mais du point de vue de l’écriture il ne constitueraient plus le motif principal. (Je ne suis pas plus avancé)

Depuis j’ai commencé l’écriture d’un roman. Je suis arrivé aux trois quarts. Maintenant, il est là, dans le tiroir du bureau sur lequel j’écris ces bêtises. Il doit se demander ce que je fabrique, pourquoi je perds mon temps à recopier des fadaises alors que je devrais le sortir et le finir. 

20/05/2022

Deux mille tout neuf

 En consultant les billets abandonnés dans la salle des machines, je retrouve des remarques qui sont toujours d’actualité. Ma mécanique mentale se laisse entraîner par les mêmes engrenages. Ces deux textes datent de 2009, je ne changerais pas une virgule si je devais les écrire aujourd’hui… 


« Je rêve de m’installer devant l’écran, poser les doigts sur le clavier et trouver les mots.

Ces mots, je les imagine arrivant en rigolant, vifs et malicieux, pressés de s’étaler, apportant les détails croustillants, amusant la galerie, danses et pirouettes, ils seraient irrésistibles.

Je suis si éloigné de cet enthousiasme effréné, j'écris comme on arrache une dent. »



Quelques semaines plus tard, une autre réflexion. Je la lis plusieurs fois et trouve qu’elle sonne comme un manifeste. Elle décrit déjà mon programme. 


« ... je note ce qui passe par ma tête et farfouille, je dénoue des fils au hasard, je ne peux ni m’échapper, ni me faire disparaître, je creuse à ma manière, j’expérimente, compare, évalue, je suis mon propre et unique laboratoire, je me laisse entraîner par la musique du monde, je m’abandonne à la douce résistance des choses, je ne pense pas, je me bricole, comme je peux, je ne dévoile rien, je me défais, me dépose et me prépare tranquillement à l’oubli »


Le premier était intitulé « Supplice » et le second « Gargouillis ». Je garde aussi. 

En cherchant une illustration, j’ai trouvé un autre billet oublié, j’avais pris la peine de le mettre en forme, il était explicite aussi… 



A défaut d’avoir quelque chose à écrire, j’ai de la suite dans les idées (fixes ?))


18/05/2022

Brouillon (1)




A partir du 15 août 2006, j’ai écrit ici, la preuve : http://dehorsdedans.blogspot.com/2006/08/la-toute-premire-fois_15.html . Jusqu’en 2008, le rythme a été soutenu, et puis les réseaux sociaux sont arrivés et j’ai basculé insensiblement. Bref, on s’en fout. 
Ce qui m’étonne, en fouillant dans les brouillons, c’est que certains billets me paraissent avoir leur place. Je ne sais pas pourquoi je ne les ai pas publiés. Celui qui suit, par exemple, me plait bien… 
Je note que les emoji n’existaient pas encore, jamais on ne trouve de :) et autre <3 et ^-^… 

… 


Jadis, le mot “ami” dessinait les contours d’un être cher, il assurait l’attachement, il distinguait l’élu. Aujourd’hui, le concept est devenu mou, élastique, gazeux. Il suffit d’apparaître sur une liste pour s’approprier le titre. Il n’accorde plus rien, il autorise la gesticulation sur le mur dans l’indifférence.
Cette image, prise dans la gare centrale de New York illustre le phénomène. Je peux dire : voici mes amis. Il faudrait ajouter virtuels, ou plus précisément potentiels.
J’imagine que, comme moi, vous n’aimez pas trop qu'on encombre votre mur avec des salades. Alors, quel est le sens de ces cercles qui entourent votre âme et ne sont habités que d’êtres errants de plus en plus indistincts au fur et mesure qu’on s’éloigne du centre. Quelle est leur fonction dans votre paysage mental ? Une barrière contre l’ennui ? Dites-moi donc, alors ?
Personnellement, je suis un peu gêné. Il m’est arrivé de quémander et en retour de n’avoir rien à donner. Quelle est la nature de la promesse que nous nous faisons en nous appelant “amis” ?

Je l’avais intitulé “Au rapport” suivi d’un (2). Il date du 18/01/2010.  Et de fait, il y en a un qui précède, rédigé le 28/09/2006, publié le 30/09/2006. http://dehorsdedans.blogspot.com/2006/09/nouvelles-du-moi.html . 

Mouais, bon, ben sinon, ce matin, j’ai repeint le contour du balcon, ça c’est une nouvelle fraîche. 


16/05/2022

Allons donc (intermède) (8)

 Tout de même, je me suis dit, tu as bien dû écrire quelques poèmes dans tout ton fourbi… Bien sûr il y a le Poème numéro 2, celui que tu as mis en page dans les années deux mille. Le numéro Un a disparu, a-t-il jamais été écrit ? Je crois que j’ai tout de suite commencé par le deuxième, le premier c’était trop difficile. 


Alors, ce matin j’ai farfouillé, trouvé des trucs étranges, des pensées oubliées, des choses saugrenues, et puis, au milieu de tout ce fatras, j’ai ramassé, en date du 15 février 2012, ce texte abandonné dans les brouillons intitulé “poème, si on veut”


pour une raison qui s’échappe, 
encore
à interroger 
ce je qui pense. 
précis, 
découpe la membrane
Y voir,
quelque chose,
écaille,
se regarder faire 
et, 
se prendre en défaut, 
sur le fait.
s'extraire. 
Ah, Ah. 
s’imaginer, 
du propre. 
on peut pas, se taire, si, mais, bon. 
alors,
rien. 

on rit plus.

15/05/2022

Louise et bibi



 La poésie c’est toujours un peu suspect, le mot déclenche rarement l’enthousiasme. Si je dis « je vais te lire un poème » un voile invisible de fatigue vient altérer ton doux visage. 

Et c’est vrai, la poésie a mauvaise réputation, depuis l’enfance. Les souvenirs remontent : ânonner au tableau noir, piquet planté sur l’estrade sous le regard (plus ou moins) bienveillant de l’enseignant.e. L’image est persistante. Il y avait celles et ceux (surtout ceux) qui abandonnaient dès les premiers mots, à peine le titre massacré et retournaient, penauds, à leur place, dépités mais libérés. D’autres, sûr.e.s de leur mémoire, qui débitaient le texte d’un trait sans respirer, une mitraillette jusqu’au nom de l’auteur qu’ils enchaînaient sans pause. Il y avait l’élève modèle, celui ou celle sur lequel (laquelle) comptait le maître pour redorer son blason, faire jouer la musique des mots assemblés par le poète. 

Bref, un poème ça rime à rien, du temps perdu, jeté par les fenêtres. 

Et puis il y a Louise qui s’avance, elle est délicate, fine et fragile, une vieille dame aujourd’hui. Et ses mots t’attrapent, te tournent, te retournent, t’arrachent la peau, te déchirent l’âme. Tu es tout nu, tout petit, tu trembles. Putain, que c’est beau, que c’est bon. 

Je n’ai pas écrit un seul poème dans les carnets, je bavasse de longue mais pas le moindre petit vers à se mettre sous la langue, pas même un petit haïku de rien du tout. 

Aucun poème 

Pas même 

Un petit haîku

De rien du tout 





14/05/2022

Mon vieux pote Angelus Silesius


 Je suis étonné de trouver autant de poèmes dans mes carnets des années 90. Pessoa, Borges, Char,… Je les ai recopiés avec application. Ils couvrent des pages et des pages. Ils côtoient Nietzsche, Héraclite, et tant d’autres. 

Je redécouvre Ernst Meister dont j’avais oublié l’existence. 

Quelques pages plus loin je retrouve Johannesburg Scheffler, le voyageur chérubinique. 
A la première page du carnet, j’avais relevé mon passage préféré, le seul que j’ai retenu et qui me vient systématiquement à l’esprit quand je croise une rose 
La rose est sans pourquoi 
Elle fleurit d’être à sa fleur 
Insoucieuse d’elle-même
Sans demander si on la voit







13/05/2022

Abyssal (5)


 Aujourd’hui, vendredi 13 mai 2022, je suis fatigué. La journée d’hier a été éprouvante (j’avais écrit « épouvante » avant de corriger), je l’ai passée à remplir des tonnes de déchets verts accumulés depuis des mois. Des monticules de feuilles mortes, de brindilles séchées, d’herbe coupée, de pommes de pins, de branches cassées. Je remplissais les sacs et je les transportais jusqu’à la benne en haut du chemin. Je les vidais. Régulièrement je montais dans la benne et sautais pour écraser cet amas et ainsi augmenter l’espace disponible. Et j’ai recommencé ce travail de force, encore et encore, de 9h à 13h, puis de 14h à 18h. Une benne le matin, une autre l’après midi. Il a fallu scier des dizaines de branches, des bouts de troncs tordus, gratter l’herbe pour rassembler les débris, tirer, plier, casser. Ce sont les pyracanthas qui m’ont donné le plus de mal, les branches étaient emmêlées, les épines, qui font parfois 7 centimètres de long, jouant comme du Velcro, rendant l’enchevêtrement impossible à dénouer. Et puis, les transporter par petits paquets en étant griffé, coupé, piqué. Enfin les écraser dans la benne, un calvaire. 

Ce matin, j’ai feuilleté les carnets, mais la flemme (le dégoût du moindre effort) m’a fait renoncé à toute pirouette. D’un œil distrait j’ai quand même relevé un passage qui m’a arraché un demi-sourire 

« 13/10/1993 

Il est troublant de relire (lire) certains passages contant des faits sans importance qui se sont enfouis (enfuis) dans la profondeur de la mémoire… ça vit en nous sans existence… Il y a une gêne à retrouver des sensations ramenant un soi qu’on n’est plus et qui ne pourrait plus retranscrire ces non évènements. Je suis un autre, ailleurs ». 



Un jour sans fin. Tout change, rien ne change. 

Sur ce, je retourne m’avachir sur le canap’.


12/05/2022

La suite (4)

 

Je continue à relire les carnets des années quatre-vingt-dix. C’est plaisant, déstabilisant, étonnant… Il y a ce drôle de Moi qui remonte à la surface. Je reconnais certains traits caractéristiques, une structure assez bien établie, il radote toujours les mêmes rengaines, l’être, le langage, le temps, gagnagni gnagnagna. Je ne me souvenais pas qu’il s’était intéressé au mathématiques. Pourtant le texte fait foi… 


J’ai parcouru ce truc indigeste, j’ai tourné la page et ça m’a plutôt rassuré… 





11/05/2022

Bla-bla-bla (3)

 Jeudi 26 mars (1993)

J’ai peint toute la journée. Le résultat n’est pas fameux. P., du haut de ses 11 ans, a trouvé ça « nul ». Ce jugement sans appel a conforté mon impression sur le travail réalisé. J’ai plutôt détruit ce que j’avais péniblement entrepris la veille. Les collages trop apparents rendaient l’image chaotique, déséquilibrée. J’ai cherché pendant des heures le chemin pour retrouver un semblant d’harmonie, j’ai sonné à toutes les portes, le tableau est resté fermé. J’ai fini par nettoyer les traces que j’avais laissées. Raté, le tableau est perdu. Pour le supporter je l’ai orienté différemment. C’est maintenant un losange.


Cette année là, mes carnets regorgent de remarques sur la peinture. Je les relis sans les comprendre : 




Au milieu de ces considérations absconses, j’avais collé un billet rédigé par la même P., qui toujours du haut de ses 11 ans, n’avait pas sa plume dans sa poche :


Je note qu’un sursaut l’a, malgré sa détermination manifeste, amenée à barrer « non »… 

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. 


10/05/2022

LTDTSE (2)

 Lundi 7 juin 1992

6:15 Un grand bruit a dû me réveiller… sinon comment expliquer que j’ai les yeux comme des billes depuis 3/4 d’heure ? Ma machine mentale s’est mise en route toute seule, elle traverse des petits chemins et me pousse hors du lit pour prendre une feuille, un crayon. Je note ce qu’elle me dicte : la force de l’homme c’est sa capacité à créer des illusions qui ramènent le mystère à sa mesure, sa vision. Il opère une rectification, une réduction. Perdu devant le ciel étoilé, il a les yeux qui brillent et la bouche qui pend. Médusé par l’immensité, il décroche des petits bouts pour en faire des morceaux à sa taille, il les peint,  les sculpte, raconte des histoires. 


7 juin 1992 ? Cette date ne m’évoque rien, elle est inscrite sur ma ligne de vie, entre le 6 et le 8. Six heures quinze, l’instant pointé du doigt, inséré entre les millions de minutes qui l’ont précédé et celles qui l’on suivi. Tous les 6:15 se ressemblent, ils sont trop petits pour qu’on les distingue les uns des autres. 

A cette époque, je gardais dans mes carnets les traces écrites des filles. Je les découpais et les rangeais soigneusement. Si mes textes me laissent pantois, les leurs me tirent des grands sourires. 

                                    


09/05/2022

Le temps dans tous ses états (1)


Dans le désordre, je relis et relie, copie et recopie, annote et commente mes propres écrits, un fourmillement. Je creuse au hasard, découvre des bouts d’existence collés sur le papier jauni. Ces mots oubliés réveillent des souvenirs, des sensations.
C’est ainsi. 

13/10/1993 
“L. a subi 3 prises de sang ce matin. Heureusement, cet après-midi ses amies viennent fêter ses 8 ans. Hier soir, nous avons revu P. et sa nouvelle compagne, Valérie. Cherchant un trajet vers la fortune, ils  vendent sur catalogue des produits inconnus qu’ils livrent à domicile. Fagotés dans leur tenue de présentation, ils s’obscurcissent l’âme avec des discours de charlatans, masquant la réalité pour nous vendre un monde parfait, où tout brillera après leur passage.” 

 C’est la guerre en Ukraine depuis 2 mois. Je ne sais pas pourquoi j’ai éprouvé l’envie de retourner dans mes vieux carnets. Je ne me souvenais pas du nom de l’amie de P., le reste était présent dans ma mémoire. J’ai changé quelques mots et réduit le texte. L’émotion m’a étreint en pensant à L. 

25/04/1993 “Un dé réduit la vie au vide”. 
Ces formules à l’emporte pièces m’amusent encore. Ce jeu avec la langue nous plonge instantanément dans le mystère de l’existence. Depuis j’ai étudié sérieusement la question de l’origine du langage.

 Je fais défiler les pages du carnet, lis des passages, et observe les petits dessins, ces arabesques dont j’orne les pages de tous les livres, carnets et feuilles que je croise, j’ai dû en faire des milliers, si j’allais au bout du catalogue insensé de mes dits, écrits et dessins, ils rempliraient des volumes entiers. 

En date du 30 janvier 1994, je relève “C’est le mot qui fait l’homme, c’est la parole qui le fait exister”. Quel que soit l’endroit où je pioche, je ramasse toujours le même terreau. 

 La page suivante est raturée, soigneusement, consciencieusement. Qu’ai-je voulu soustraire à ma mémoire ? Pourquoi ce besoin de l’écrire puis de censurer ? Je pourrais chercher à décrypter ce message secret mais ce serait manquer de respect à celui que j’étais quand il l’a délibérément obscurci. 

 Sur la page qui fait face j’ai écrit “ il y a 100 ans, pendant un hiver très rude, il a tellement plu que la moitié de la montagne est tombée sur le village. Tous les habitants ont été engloutis sauf une qui n’était pas au village ce jour-là” Je ne me souviens absolument pas des raisons qui m’ont poussé à noter ce fait. Aujourd’hui, je le vois comme un début de roman. 

 Suivent une série de notes, chiffres et mots écrits en caractères d’imprimerie, aucune idée de ce qu’ils signifient. Puis plus rien, tous mes carnets, petits ou grands, sont sur le même modèle, des écrits très denses dans les premières pages, puis ça s’effiloche et les pages restent vides. 

 C’est comme ça.